Une investiture qui annonce de nouveaux rapports de force au niveau mondial

Depuis son élection, Donald Trump multiplie les actions et déclarations allant vers une rupture de l’ordre établi par son prédécesseur. L’objectif ? Introduire de nouveaux rapports de force au niveau mondial sur les questions militaires, commerciales, écologiques et énergétiques, y compris avec les alliés historiques des États-Unis, comme le Canada, le Mexique, ou l’Europe. « Par ailleurs, en nommant des représentants du secteur technologique à des postes clés de l’administration et du gouvernement américains, Donald Trump démontre également sa volonté de faire de ce sujet une priorité et de ne pas partager la domination du marché international high tech », précise Anne-Sophie Alsif.

Face à ce changement rapide de cap politique, les réactions des parties prenantes n’ont pas tardé. Les marchés financiers ont réagi positivement dans un premier temps, en raison de l’annonce de mesures de dérégulation du marché et de baisse d’impôts. Avec l’annonce du développement des forages, le secteur des énergies fossiles a également réagi favorablement. Le Président Trump a en outre affirmé vouloir instituer des droits de douane vis-à-vis des pays envers lesquels les États-Unis ont une balance commerciale déficitaire, et inciter à produire davantage sur le sol américain. Suite à l’annonce de l’entrée en vigueur de tarifs douaniers de 25 % sur les biens en provenance du Mexique et du Canada, et de 10 % sur ceux venant de Chine, ces pays ont immédiatement fait état de la mise en œuvre prochaine de mesures de rétorsion, aboutissant ainsi à un moratoire du côté américain.

Hausse des droits de douane et politique protectionniste US : quel impact ?

Selon Donald Trump, la hausse des droits de douane doit permettre le redressement économique du pays, la protection des industries américaines, et la réduction du déficit commercial américain. Grâce à cette mesure, le Président souhaite également réduire le déficit public et la dette afin d’amenuiser la dépendance des États-Unis au reste du monde, et notamment à leurs créanciers chinois. « Une hausse des droits de douane risque de toucher en premier lieu le consommateur américain, comme à l’occasion du premier mandat de Donald Trump, durant lequel le pouvoir d’achat avait été impacté négativement à hauteur de 10 à 15 % selon les produits. Durant ces quatre années, la politique protectionniste menée, en particulier sur l’automobile, avait aussi mis en difficulté l’industrie européenne et allemande », explique Anne-Sophie Alsif. En toute logique, le protectionnisme de ce second mandat devrait rejaillir à nouveau sur l’Union européenne et ses industries, et peut-être même sous une forme exacerbée, Donald Trump envisageant d’imposer des droits de douane de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium.

Les États-Unis représentent de plus le premier client de l’Union européenne (UE), absorbant 20 % de ses exportations. En 2023, le montant total des exportations européennes vers les États-Unis était estimé à 502 milliards d’euros. Concernant les importations européennes, les États-Unis figurent au deuxième rang, derrière la Chine. Avec de tels liens de dépendance, il est probable que ces deux économies soient lourdement touchées, entraînant dans leur sillage un retour des tensions inflationnistes.

Côté français, selon le Trésor, les échanges de biens et services entre la France et les États-Unis ont atteint un niveau historique en 2023 : 153,1 milliards de dollars. L’Hexagone représente le cinquième plus important investisseur outre-Atlantique, les États-Unis occupant quant à eux la première place en sens inverse. Dès lors, une hausse des droits de douane affecterait fortement certains secteurs industriels tels que l’aéronautique, la chimie, l’automobile, l’agroalimentaire, le luxe, ou les spiritueux.

Durcissement des relations commerciales avec les États-Unis : comment l’Europe et la France peuvent-elles se protéger ?

Les mesures protectionnistes des États-Unis à l’égard de la Chine vont indirectement se répercuter sur l’Union européenne. Pour faire face à la guerre commerciale menée par le Président Trump, la Chine, en surcapacité de production, se réorientera nécessairement vers le marché européen. Très compétitive, notamment au regard de l’exportation de produits du secteur de l’économie verte (voitures électriques, panneaux solaires, semi-conducteurs, etc.), la Chine pourrait ainsi prendre d’importantes parts de marché aux entreprises européennes.

Dans un tel contexte, l’Union européenne devra protéger ses entreprises, notamment à travers la mise en place de droits de douanes. Un risque subsiste néanmoins : la réponse divisée des pays de la zone euro. Les pays du Nord, exportateurs, y seraient vraisemblablement opposés, de peur de subir des mesures de rétorsion. La Commission européenne pourrait alors choisir de la mettre en place de droits de douane d’un montant limité. Pour la cheffe économiste chez BDO, « cette mesure ne permettrait pas de protéger les entreprises européennes : si le montant des droits est trop faible, la Chine absorbera directement ces derniers en baissant ses marges et la hausse des prix sera faible pour le consommateur final. La mise en place de ces droits de douane limités n’atteindrait donc pas son objectif ». D’autant que la Chine pourrait à son tour mettre en œuvre des mesures de rétorsion à l’encontre des entreprises européennes, au risque d’aboutir à un résultat global « perdant-perdant ».

De même, face au renforcement de la tendance monopolistique de la tech américaine et au risque de rachat des start-up européennes à forte croissance, l’Europe aurait tout intérêt à achever l’union des marchés des capitaux. Cette initiative permettrait à ces entreprises de générer des financements suffisants et d’éviter par là même leur rachat par les grands groupes américains. La création d’un « livret industrie européen » pourrait de la même façon orienter une partie de l’épargne européenne, souvent peu productive, vers le financement des start-up dans du secteur technologique. La France n’étant pas une puissance industrielle, elle devrait par conséquent être plus modérément affectée par cette tension des relations commerciales avec les États-Unis. De surcroît, les négociations commerciales restent la compétence exclusive de la Commission européenne. La France pourrait toutefois faire pression auprès de la Commission afin de mettre en œuvre des droits de douane plus importants dans certains secteurs et protéger les entreprises françaises.