L’intelligence artificielle qualifiée de nouvelle technologie

Le tribunal judiciaire de Créteil a réaffirmé dans son ordonnance du 15 juillet 2025 que l’intelligence artificielle constitue indéniablement une nouvelle technologie dont le déploiement est susceptible d’affecter les conditions de travail des salariés. Cette qualification juridique entraîne l’application de l’article L. 2312-8 du Code du travail, qui impose à l’employeur d’informer et de consulter le CSE sur les mesures de nature à affecter les conditions de travail, notamment lors de l’introduction de nouvelles technologies.

Les sociétés concernées avaient procédé à l’implantation d’outils d’IA dans l’intranet de l’entreprise sans consultation préalable du CSE. Face aux refus de la direction d’ouvrir une négociation sur l’usage de ces outils, le tribunal a ordonné la suspension de leur utilisation jusqu’à la clôture du processus de consultation du comité.

Un cadre procédural strict à respecter

La procédure d’information-consultation du CSE doit répondre à des exigences précises. Elle doit être réalisée préalablement à la décision de l’employeur, dans le respect d’un délai d’examen suffisant. L’employeur doit également transmettre au CSE des informations précises et écrites, puis apporter une réponse motivée à ses observations.

Lorsque le déploiement de l’IA s’inscrit dans une procédure complexe comportant des décisions échelonnées, le CSE doit être consulté à l’occasion de chacune d’elles. Le comité peut par ailleurs recourir à un expert habilité pour l’assister dans cette démarche, le coût de l’expertise étant pris en charge à 80 % par l’employeur et à 20 % par le CSE dans le cadre de l’introduction de nouvelles technologies.

Deux premiers jugements favorables à la consultation du CSE

Cette décision du 15 juillet 2025 fait suite à un premier jugement du tribunal judiciaire de Nanterre le 14 février 2025[1], qui avait déjà posé l’obligation de consulter le CSE avant tout déploiement d’outils basés sur l’IA, même expérimental ou partiel. Cette convergence jurisprudentielle témoigne d’une approche cohérente des juridictions face aux enjeux soulevés par l’introduction de l’intelligence artificielle dans l’environnement professionnel.

Bien qu’il s’agisse d’ordonnances rendues en première instance, ces décisions constituent un signal fort pour les entreprises. Elles confirment que le développement de l’IA en milieu professionnel ne peut s’affranchir du cadre légal existant en matière de consultation des représentants du personnel.

Impact sur le déploiement de l’IA en entreprise

Ces évolutions jurisprudentielles invitent les employeurs à intégrer systématiquement la consultation du CSE dans leur stratégie de déploiement d’outils d’intelligence artificielle. Cette obligation s’applique quelle que soit l’ampleur du déploiement envisagé, incluant les phases expérimentales ou les implantations partielles.

Les entreprises doivent désormais anticiper ces contraintes procédurales dans leurs projets de transformation numérique, sous peine de voir leurs initiatives suspendues par voie judiciaire. Cette approche préventive permettra d’éviter les contentieux.

Les trois points clés à retenir

  • L’intelligence artificielle est désormais clairement reconnue par la jurisprudence comme une nouvelle technologie nécessitant la consultation obligatoire du CSE avant son déploiement, même expérimental.
  • La consultation doit être réalisée préalablement à toute décision, avec transmission d’informations précises au CSE et respect d’un délai d’examen suffisant, le comité pouvant recourir à un expert pris en charge à 80 % par l’employeur.
  • Le non-respect de cette obligation expose l’entreprise à une suspension judiciaire de l’utilisation des outils d’IA jusqu’à la clôture du processus de consultation du CSE.

[1] Tribunal judiciaire de Nanterre, ordonnance de référé, 14 février 2025, n°24/01457